Soixante ans après l’appel de l’abbé Pierre, la question du logement demeure un désastre.
Le 1er février 1954, l’abbé Pierre lançait son appel en faveur des sans-abri. Soixante ans après, le parc immobilier français a été démultiplié pour atteindre 33 millions de logements, offrant en moyenne 40 m2 par habitant avec un bon niveau de confort. Mais dans le même temps, le mal logement est redevenu un fléau social qui ronge la société française, jouant un rôle majeur dans la spirale infernale de l’exclusion. Notre pays compte désormais 141 500 SDF, 3,5 millions de mal logés, 5,1 millions de personnes précarisées.
Au principe de la crise du logement, on trouve une pénurie de l’offre. La France manque de 700 000 à un million de logements compte tenu de l’évolution de la démographie et des modes de vie, notamment la recomposition des familles. Les bidonvilles ont ressurgi à la périphérie des grandes agglomérations. La hausse du prix des logements a été deux fois plus rapide que celle des revenus depuis 1960, provoquant la formation d’une bulle spéculative. Elle ampute le pouvoir d’achat des ménages en accaparant 19 % de leur revenu ; elle pèse négativement sur la croissance, l’emploi et la compétitivité ; elle nourrit l’exclusion.
Loin de s’atténuer, la pénurie de logement s’est emballée depuis 2012. L’objectif fixé par François Hollande portait sur la construction de 500 000 logements neufs par an. En 2013, n’ont été construits que 330 000 logements, soit un recul de 12 %, alors que 60 000 étaient détruits. Une nouvelle baisse est attendue en 2014 avec un étiage historiquement bas de 290 000 logements. La surévaluation des prix atteint désormais en moyenne 15 %. Dans le même temps, l’investissement locatif a chuté de 6 %, accompagnant l’effondrement de sa rentabilité, aujourd’hui inférieure à 3 %.
Contrairement à 1954, l’origine de cette catastrophe n’est pas à chercher dans une météorologie polaire mais dans l’action du gouvernement. Beaucoup doutent aujourd’hui que la politique puisse faire du bien ; Cécile Duflot démontre qu’elle peut en tout cas faire beaucoup de mal, en ruinant en vingt mois un secteur clé de l’économie nationale.
Comme pour la plupart des politiques publiques, le logement ne souffre nullement d’une insuffisance de moyens. La France lui affecte 41,5 milliards d’euros, soit trois fois plus que l’Allemagne (13 milliards d’euros pour 81 millions d’habitants). Il est en revanche dévasté par une approche placée sous le signe du malthusianisme et de l’étatisme. Avec un rare cynisme, Madame Duflot, en prenant pour slogan que la reprise doit être qualitative et non quantitative, conforte tant la pénurie que le maintien de prix artificiellement élevés.
Le foisonnement des taxes et des normes tue la construction. L’encadrement et le contrôle des loyers ont non seulement gelé l’investissement locatif mais s’apprêtent à provoquer une dégradation sans précédent du parc immobilier. Les Britanniques, pour avoir expérimenté les deux, ont pour devise que le contrôle des loyers constitue, après les bombardements aériens, le meilleur moyen de détruire un centre-ville car il entraîne un sous-entretien chronique des immeubles. Le Conseil d’analyse économique, dans un rapport daté du 24 octobre 2013, est parvenu à la même conclusion, soulignant que l’encadrement des loyers allait réduire la qualité du parc immobilier. Dans le même temps, la garantie universelle des loyers, même limitée à 20 % de leur montant, institue une prime aux impayés. La faculté ouverte au locataire de contester dès sa signature le montant de son loyer au regard d’un montant de référence va provoquer une inflation des contentieux. Enfin, l’État, via les préfets, se voit transférer le contrôle de l’aménagement et du foncier, d’une part, et celui des loyers, d’autre part, alors même que ses services ne disposent pas des compétences requises.
Pour parachever le désastre, la loi Pinel a entrepris de révolutionner le régime des baux commerciaux qui donnait toute satisfaction. Alors même que les transactions concernant les bureaux et les commerces se sont écroulées de 25 % en 2013, le gouvernement prévoit d’instituer une clause générale de sortie des baux commerciaux au bout de trois ans et d’encadrer la hausse des loyers. Avec deux conséquences mécaniques : d’un côté, l’arrêt des investissements ; de l’autre, la hausse des loyers, corollaire inévitable de l’augmentation des risques pour le bailleur.
Les conséquences sont tragiques. Quand le bâtiment ne va plus, rien ne va plus.
(Chronique parue dans Le Figaro du 17 février 2014)